Je m’en vais vers mes profondeurs,
Dans la noblesse de ma ville
Hélée aux heures saintes par les voix muezzines
Vers l’ablution et le salut ;
Les visages striés de lumière
Egrainent la louange
Aux chapelets couleur de miel et d’oasis ;
Et j’écoute vibrer dans l’ombre coranique
Une abeille géante : la mosquée-cathédrale :
« Au nom de Dieu clément et miséricordieux.
Dis : Allâh est l’Unique,
Allâh l’Impénétrable !
Il n’a pas engendré ; engendré il ne fut.
Nul, à Lui, n’est égal ».
J’écoute les Craintifs, dans la haute langue littérale
- Où mes pensers d’exil, mes désirs pèlerins
Ont demandé fraîcheur, asile –
Prosterner, murmurer l’offrande
De l’âme en oraison vers l’Immense Majestueux ;
J’entends la Fâtiha, les morts au cortège rapide,
Raidis sous le linceul,
Les versets à voix haute vers le Dieu du pardon,
Jusqu’à la fosse rouge sombre,
Le tumulus poudreux
Que la paume, ou la brise, efface …
Je m’en vais vers mes profondeurs, ô ma ville laborieuse !
Je me récite les ruelles aux alvéoles d’artisans ;
Ah ! sous le ciel que le pur minaret assume,
Le simple et lumineux bonheur !
Les marchands d’encens et de cierges :
Ecorces de santal, arômes de benjoin,
Résines, poudres mates ; et les graves libraires
Ornant leur pénombre exiguë, où veille une main-talisman,
De lithographies où scintillent
De purs versets entrelacés au Nom suprême,
De Corans lumineux dont les signes cheminent
Comme chamelles véridiques de la noblesse et du salut ;
Je me récite mes ruelles nocturnes parfumées de menthe :
Les cafés s’éveillent, rêveurs, sous les auvents bleuis
De lumières ;
S’allument les chavirantes nostalgies
Des musiciens du soir : ils s’enivrent de kamanjah
Ou de luth sous le plectre,
( Ah ! un aigle nous pince le cœur … ),
De clairs tambourins pailletés, ruisselant d’infimes cymbales !
Et toi, ô femme pure,
Dame hautaine de l’Islâm,
Tu déchires les âmes d’un velours qui s’enroue,
De langue noble sombrée de meurtrissure,
D’une douceur cendrée de tourterelle, Umm Kulthûm …
Extrait de « Mémorial de Meknès »
1986